Utilisation des antibiotiques chez le patient brûlé
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- Catégorie : Recommandations
- Mis à jour : vendredi 6 octobre 2017 13:29
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Texte court
Groupe d’experts : Pierre AINAUD (Marseille), Marc BERTIN-MAGHIT (Lyon), Hervé CARSIN (Clamart), Ronan LE-FLOCH (Nantes), Gérard PERRO (Bordeaux), François RAVAT (LYON) – coordonnateur -, Christophe VINSONNEAU (Paris)
L’infection est un problème majeur dans la prise en charge des brûlés et en particulier. Celle causée par des bactéries hospitalières qui ont acquis la multi-résistance aux antibiotiques. La multi-résistance est en relation directe avec la consommation d’antibiotiques. Par ailleurs, lorsque ces bactéries sont des bacilles à gram négatif, les molécules les plus efficaces datent de 20 ans pour les plus récentes sans espoir de mise à disposition de nouvelles molécules y compris dans un futur lointain. De ce fait, il est clair que les antibiotiques actuels encore actifs ne doivent pas être galvaudés. Les 10 recommandations qui suivent sont proposées dans ce but.
Préambule
L’antibiotique doit être utilisé en gardant à l’esprit que sa cible n’est pas le malade mais la bactérie : le clinicien doit sélectionner la ou les molécules les plus efficaces et chercher à obtenir des concentrations suffisantes au foyer infectieux pour éradiquer les pathogènes visés (bactéricidie).
L’antibiotique ne doit pas faire émerger de résistances bactériennes ; il doit être employé dans le but de limiter la pression de sélection et ainsi d’en réduire les conséquences en terme d’écologie bactérienne.
L’antibiotique n’est qu’un des moyens de lutte contre l’infection. L’antibiothérapie s’inscrit dans une stratégie globale de service hospitalier au même titre que l’hygiène.
Règle 1 –PAS D’ANTIBIOTIQUE en l’absence d’infection avérée
La réduction de la consommation d’antibiotique a montré son efficacité pour réduire l’émergence de résistances bactériennes. Les critères usuels d’infection – fondés sur l’existence d’un syndrome inflammatoire – (hyperthermie,
hyperleucocytose, élévation de la CRP) sont inopérants chez le brûlé et conduisent à la prescription d’antibiothérapies inutiles qui doivent être évitées. Pour porter le diagnostic d’infection, les experts recommandent de s’appuyer sur les critères exposés en annexe 1.
Règle 2 –L’infection locale relève d’un TRAITEMENT LOCAL
L’antibiothérapie prescrite pour prévenir l’infection des brûlures n’empêche pas l’infection de celles-ci et favorise l’émergence de bactéries multirésistantes. Les topiques locaux sont efficaces pour prévenir ou traiter l’infection des brûlures. Pour ces deux raisons, l’infection locale ne doit relever que d’un traitement local dans lequel la chirurgie tient toute sa place. Lorsque l’infection locale s’accompagne de signes généraux d’infection, les experts considèrent que le processus infectieux n’est plus purement local et dans ce cas l’utilisation d’antibiotiques peut être justifiée.
Règle 3 – Tenter de réduire l’INOCULUM bactérien
Au sein d’une population bactérienne la probabilité d’apparition de souches mutantes résistantes aux antibiotiques n’est pas nulle et le risque d’apparition de mutants résistants augmente en relation directe avec la taille de la population bactérienne (inoculum). Un des moyens de limiter cette probabilité est la réduction de l’inoculum. Chez les patients brûlés, des inoculum très importants peuvent être observés notamment en cas d’infection des brûlures. Lors d’une colonisation d’un tissu par des bactéries, le passage de la colonisation à l’infection dépend aussi de l’importance de l’inoculum bactérien. Réduire l’inoculum peut donc également contribuer à prévenir la survenue d’infections. Dans tous les cas de figure, les experts recommandent de chercher à réduire l’inoculum bactérien.
Règle 4 –L’antibiothérapie est une URGENCE thérapeutique
Il est bien établi qu’en cas d’infection grave (mal tolérée et/ou mettant en jeu le pronostic vital) l’antibiothérapie doit être débutée sans délai, c'est-à-dire au plus tard dans les 6 heures qui suivent le diagnostic d’infection. Dans cette situation, il est fréquent que l’infection ne soit pas documentée au plan bactériologique ; il faudra donc savoir mettre en œuvre les prélèvements nécessaires avant d’instaurer l’antibiothérapie MAIS sans la retarder.
Règle 5 –Choisir de préférence des antibiotiques BACTERICIDES
Le patient brûlé présente un déficit immunitaire, si bien que dans ces conditions l’antibiothérapie devra être efficace par elle-même, sans le secours des défenses immunitaires. En outre, l’utilisation d’un antibiotique bactéricide permet de réduire l’inoculum. Pour ces raisons, les experts recommandent l’utilisation de molécules bactéricides.
Règle 6 – Savoir ASSOCIER les antibiotiques en cas d’infection grave
L’association présente un certain nombre d’avantages théoriques :
• élargissement du spectre (utile en situation d’antibiothérapie probabiliste),
• augmentation de la bactéricidie (plus importante et plus rapide),
• prévention de l’émergence de mutants résistants. Il est établi qu’en présence de certaines bactéries hospitalières multirésistantes les associations permettent d’éviter l’acquisition de nouvelles résistances. Pour toutes ces raisons, les experts recommandent l’emploi des associations d’antibiotiques pour le prise en charge des infections bactériennes graves chez les patients brûlés, au moins durant les 72 premières heures de traitement.
Règle 7 –ADAPTER l’antibiothérapie
En l’attente de la documentation bactériologique, le choix des antibiotiques est probabiliste. La possibilité d’une antibiothérapie initiale inappropriée par spectre trop étroit existe, avec le risque, dans ce cas, d’augmenter la mortalité. Il existe aussi un risque d’antibiothérapie excessive (molécule active alors qu’un produit à spectre plus étroit serait aussi efficace). Or, le risque de sélection de germes résistants est plus important avec une antibiothérapie à large spectre. De ce fait, l’antibiothérapie probabiliste doit être réévaluée dès la réception des résultats bactériologiques, habituellement à la 48e heure. L’antibiothérapie doit alors être adaptée au(x) germes(s) présumé(s) responsable(s) de l’infection. La stratégie proposée comporte donc deux temps :
• Approche clinique initiale avec instauration d’un traitement probabiliste dès le diagnostic suspecté
• Approche bactériologique secondaire avec réévaluation du traitement initial sur la base d’une documentation complète.
Règle 8 - savoir pratiquer la DESESCALADE / savoir ARRETER L’ANTIBIOTHERAPIE
Remplacer une antibiothérapie probabiliste à spectre large par une antibiothérapie adaptée à spectre étroit guidée par l’antibiogramme s’appelle la désescalade ; elle doit être réalisée chaque fois que cela est possible. La désescalade poursuit deux buts : un bénéfice individuel (guérison du malade) et un bénéfice collectif (réduire l’émergence de résistances bactériennes). Ses conditions d’application sont au nombre de trois : documentation bactériologique disponible, documentation positive avec antibiogramme et si possible CMI et amélioration du tableau infectieux après 48 heures. L’arrêt d’une antibiothérapie considérée comme inutile peut être assimilé à une désescalade. Les experts recommandent une durée d’antibiothérapie de 7 à 8 jours pour la majorité des cas d’infections rencontrées chez les patients brûlés, à condition que le traitement initial ait été approprié. En cas d’infection par des germes à risque (type Pseudomonas æruginosa) une durée plus longue est peut être nécessaire mais elle ne devra pas dépasser 15 jours. Il est également possible dans ce dernier cas, au delà de 7 à 8 jours de traitement, d’interrompre l’antibiothérapie après 48 à 72h d’apyrexie (ou de disparition des signes ayant fait porter le diagnostic d’infection).
Règle 9 –Respecter les MODALITES d’ADMINISTRATION : posologies, rythme d’injection.
1. NOTIONS DE PHARMACOCINETIQUE
La pharmacocinétique des antibiotiques est très fortement perturbée chez le patient brûlé. De ce fait les posologies habituellement recommandées, et établies chez le volontaire sain, ne sont pas recommandables. Ces modifications concernent toutes les classes de molécules ainsi que tous les paramètres qui conditionnent la pharmacocinétique des antibiotiques mais avec d’importantes variations interindividuelles. Ce que l’on observe est une baisse des concentrations sériques et tissulaires par rapport aux valeurs habituelles, à l’origine d’échecs thérapeutiques et de l’émergence de souches résistantes. Il est donc recommandé d’augmenter la dose de chaque antibiotique administré chez le brûlé mais aussi d’en aménager les modalités d’administration.
2. NOTIONS DE PHARMACODYNAMIE
Les antibiotiques peuvent être répartis en deux groupes selon leur cinétique de bactéricidie :
1°) Antibiotiques à bactéricidie concentration dépendante (aminosides, fluoroquinolones et fosfomycine).
La bactéricidie est proportionnelle à la concentration maximale obtenue c'est-à-dire à la dose unitaire administrée : plus elle est élevée, plus la bactéricidie est intense. L’objectif à atteindre est donc la concentration la plus élevée possible (Cmax) par rapport à la concentration minimale inhibitrice (CMI), la seule limite étant les effets secondaires. Avec ce type d’antibiotique l’administration est discontinue. ; l’intervalle entre deux administrations dépend de la demi-vie de la molécule : il ne doit pas dépasser 3 fois la demi vie d’élimination de celle-ci. C’est ainsi que les aminosides sont habituellement administrés en dose unique journalière (DUJ) alors qu’avec les fluoroquinolones le schéma comporte plusieurs injections quotidiennes.
2°) Antibiotiques à bactéricidie temps dépendante (beta-lactamines, glycopeptides).
La bactéricidie est lente et donc relativement indépendante de la concentration maximale. Le paramètre prédictif du succès thérapeutique est le temps pendant lequel les concentrations sériques d’antibiotiques se situent au dessus de la CMI. Le but à atteindre est donc d’obtenir des concentrations sériques dépassant la CMI dans 100% du temps. Pour cela il y a plusieurs moyens : utiliser des molécules à demi-vie longue, raccourcir le délai entre deux injections ou utiliser une administration par perfusion continue. Les experts recommandent l’administration par perfusion continue car cette modalité semble offrir les meilleures garanties de taux sériques efficaces et stables chez le patient brûlé. L’administration par perfusion continue implique l’injection d’une dose de charge afin d’obtenir des taux supérieurs à la CMI dans des délais raisonnables. La dose de charge dépend des molécules utilisées.
3. MODALITES PRATIQUES
Règle 10 –Savoir DOSER les antibiotiques.
Mesurer les concentration d’antibiotiques est un excellent moyen de garantir l’efficacité des molécules utilisées. Deux situations se présentent selon la bactéricidie de l’antibiotique considéré :
1. BACTERICIDIE CONCENTRATION-DEPENDANTE
Il est recommandé de chercher à obtenir une concentration supérieure à 10 fois la CMI dans la plupart des cas et supérieure à 20 fois la CMI pour les germes à risque (type Pseudomonas aeruginosa). Pour connaître la CMI, il faut s’adresser au laboratoire de bactériologie ou au comité français de l’antibiogramme qui publie annuellement la CMI des principaux germes (recommandations du CASFM). Cet organisme publie en fait la CMI la plus élevée possible retenue pour faire classer le germe en « sensible » (concentration critique). La Cmax est déterminée par le dosage sérique (taux pic) prélevé 30mn après la fin de l’injection avec les aminosides et dès la fin de l’administration avec les fluoroquinolones en raison de la grande vitesse de diffusion tissulaire de ces molécules. Pour les aminosides, un dosage avant la seconde injection est recommandé (taux résiduel) ; il sert a attester de l’absence de toxicité des posologies utilisées.
2. BACTERICIDIE TEMPS-DEPENDANTE
En perfusion continue les experts recommandent une concentration à l’équilibre (Css) égale à 4 à 5 fois la CMI. Dans certains cas particuliers comme les infections à Pseudomonas la Css cible est fixée à au moins 10 fois la CMI. La demi vie de la plupart de ces molécules étant relativement courte on peut considérer que l’équilibre est atteint dès le lendemain de l’introduction du produit.
Cas particulier –Antibioprophylaxie péri-opératoire
Chez les patients brûlés, l’antibioprophylaxie n’a d’intérêt que dans le cadre de la période péri-opératoire. Elle vise à remplir trois objectifs:
• Réduire au maximum l’inoculum local pour favoriser le succès de la greffe
• Diminuer les bactériémies à point de départ local et, ce, d’autant plus que la surface brûlée est importante
• Ne pas augmenter la pression de sélection. L’antibioprophylaxie obéit à un certain nombre de règles d’utilisation définies par plusieurs conférences de consensus et largement diffusées :
• L’antibioprophylaxie doit débuter suffisamment longtemps avant la chirurgie (1h30mn environ)
• La première dose doit être le double de la dose unitaire recommandée en traitement curatif.
• La moitié de la dose initiale doit être réinjectée toutes les 2 demi-vies de la molécule (toutes les 4 heures pour l’oxacilline).
• La durée habituelle de l’antibioprophylaxie est de 24 heures ; elle ne doit jamais dépasser 48 heures.
• En cas d’administration réitérée, la perfusion continue après dose de charge est possible si la pharmacodynamie de la molécule s’y prête (molécules à bactéricidie temps-dépendant). Pour les patients brûlés, l’antibioprophylaxie s’adresse aux malades devant subir une chirurgie invasive (excisions, lambeaux….) ; elle n’est pas de mise pour les pansements. Les experts recommandent les pratiques suivantes :
1. premier cas :
Absence d’infection locale identifiée et cible bactérienne non définie. Antibioprophylaxie anti staphylococcique methi-S :
• oxacilline ou cloxacilline (30 mg/kg)
• ou céphalosporine de première génération (30mg/kg).
• En cas d’allergie, clindamycine (10mg/kg).
2. second cas :
Absence d’infection locale identifiée mais isolement d’un pathogène sur les prélèvements cutanés. La molécule à administrer devra être active sur ce pathogène.
3. cas particulier :
Infection locale documentée ou non. Il ne s’agit pas de prophylaxie puisqu’une infection est en cours. Il est recommandé d’administrer une ou des molécules actives sur le pathogène identifié ou présumé. L’administration doit obéir aux règles usuelles.
4. cas particulier :
Mise en place d’un substitut cutané inerte type derme artificiel. En l’absence de recommandations dans la littérature, les experts proposent la conduite suivante : prélèvement cutané préalable, antibioprophylaxie ciblée sur le pathogène identifié (ou à défaut antibioprophylaxie anti-staphylococcique), règles habituelles d’administration.